Exposition chez Amélie, Maison d’Art en Juin 2022.
Solastalgia, 2022.
Empreintes photographiques sur cartons.
Pour cette série, Solastalgie, l’artiste s’est installée dans la forêt de Fontainebleau. Ce déplacement n’est pas rien. La jeune femme a choisi en effet de rejoindre la forêt des artistes. C’est là qu’avec les peintres comme Théodore Rousseau ou Jean François Millet, sont venus les « primitifs » de la photographie, comme Gustave le Gray ou Eugène Cuvelier. Cette forêt, matrice des arts, est un défi pour une jeune artiste et photographe contemporaine. Comment entrer dans ce musée « grandeur nature » et se mesurer à ces regards célèbres qui ont façonné nos manières de voir et même de concevoir l’arbre ?
Avec les arbres de cette série, à travers la grille orthogonale qui paraît multiplier les points de vue, Charlotte Bovy reprend le sujet à zéro, en prenant en quelque sorte les mesures de ces monstres de la forêt de Fontainebleau ? Beaux et énigmatiques, comme les « cartons » d’un merveilleux vitrail en noir et blanc, ils rayonnent d’une puissance propre, soulignée par cette résille qui se surimpose à eux, à la manière de la technique d’agrandissement inventée à la Renaissance, du « report » d’un dessin sur des carreaux. Est-ce une manière de suggérer la grandeur symbolique de ces arbres que de les soumettre ainsi à une promesse d’agrandissement perpétuel ? ou bien est-ce une manière de circonvenir, à travers un filtre géométrique, le chaos de leurs formes folles ?
Y-aurait-il aussi dans cet artifice plastique, un jeu entre photographie et dessin ? Les arbres de Charlotte Bovy, dans leur noir et blanc, leurs contours et leurs surfaces, constituent en effet une zone indécise entre dessin et photographie. Le rappel peut-être de la rivalité entre l’un et l’autre art, au XIX e siècle justement, pour la représentation de cette forêt.
Fusionnant la matière de l’arbre et celle de l’image, le carton, matériau pauvre dérivé du bois, l’artiste incarne cette « solaslalgie », désarroi propre à l’anthropocène, conceptualisé par le philosophe australien, Glenn Albrecht. Face à l’inéluctabilité des changements qui menacent, les arbres de Charlotte Bovy offriraient-ils donc alors ce « réconfort » (solace en anglais) dont nous avons tant le regret ?
Thierry Grillet.